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Le mauvais goût des autres

Que ce soit dans la mode, la déco ou la musique, une nouvelle génération semble vouloir passer outre les conventions en flirtant allègrement avec l’excentricité, l’avant-garde et l’humour. Certains érigent même le kitsch au rang d’art. Leur but ? Abattre les cloisons entre bon et mauvais goût. Rencontre avec des jeunes gens « modernes et décomplexés ».

L’anecdote remonte à presque deux ans. A l’époque, un internaute dépose sur le site de vente en ligne Amazon un commentaire bienveillant concernant un produit qu’il vient d’acquérir : un tee-shirt de la marque The Mountain baptisé “Three Wolf Moon”. A priori, cela ne vous dit rien, et pourtant vous en avez sûrement déjà vus sur les stands d’un marché, coincés entre un débardeur Bob Marley et un pyjama Homer Simpson. Et vous n’avez pu réprimer un petit sourire ironique devant leurs motifs improbables, bergers allemands attendrissants ou loups hurlant à la lune (voir illustration page de droite). Quelque temps après la publication du commentaire, une bande de joyeux geeks tombe dessus par hasard et décide, juste pour rire, d’en rajouter une couche à base de critiques dithyrambiques et d’éloges grandiloquents. Résultat : la mayonnaise monte rapidement et le fameux tee-shirt devient un véritable phénomène de mode, permettant à la marque The Mountain, certes un peu offusquée d’être l’objet de moqueries déguisées, d’augmenter ses commandes de 2 300 % ! Si l’on évoque cette histoire, c’est qu’elle paraît emblématique de la tendance assumée par une nouvelle génération à revendiquer comme un étendard les fautes de goût les plus éhontées. En résumé : fini les complexes, la peur du regard de l’autre ; plus question que quiconque décrète ce qui est “in”, ce qui est “out”. Et si l’histoire du tee-shirt Three Wolf Moon ressemble plus à une célébration très second degré de la ringardise, d’autres jeunes gens pour qui les termes de “bon” et “mauvais goût” n’ont plus aucun sens ont décidé de revendiquer la possibilité de choisir librement ses affinités culturelles. Dépassant la blague potache, ils réhabilitent au passage des objets artistiques et décoratifs qu’il est de bon ton de détester adorer aujourd’hui.

« Le bon goût est la mort de l’art »
Qu’est ce que le bon goût et qui le dicte ? Cette question qui pourrait être le sujet d’une prochaine épreuve du bac philo paraît inépuisable. Qui érige la norme ? La masse ? Les médias ? Les magazines féminins avec leurs “do” et “don’t” (ce qu’il faut faire ou ne pas faire), synonymes indirects de bien et mal ? « Ce que j’aime dans le mauvais goût, c’est qu’il n’y a pas de définition, c’est un puits sans fond, plein de surprises », nous confie Dora Moutot, une étudiante franco-américaine de 23 ans passionnée par les souscultures, qui se qualifie elle-même de « chasseuse de tendances obsédée par les “weirdos” [les gens bizarres, ndlr] et le mauvais goût ». Son blog La Gazette du mauvais goût qui recense, photos et vidéos à l’appui, les tendances émergentes estampillées “mauvais goût” dans le monde de la mode, de l’art, de la culture pop et de l’internet, est ce qui se fait de mieux dans le genre. Une galerie des horreurs ou l’antichambre des plaisirs (coupables), c’est selon… On y croise des bibelots en forme de coquillages et des chaussures en forme de banane, des caniches teints en bleu, multicolores, des appareils dentaires étincelants, et bien pire. « Il n’y a pas vraiment d’ironie dans les photos que je présente sur mon blog. Si je parle de quelque chose, c’est que je trouve l’esthétique à l’avant-garde ou intéressante. Bien entendu, il y a du second degré dans tout ça et beaucoup d’humour, ce qui n’enlève rien à ma sincérité. J’ai toujours été attirée par l’excentricité. J’aime les idées nouvelles, les gens qui osent, l’humour, la folie et, comme le dit David LaChapelle, je pense que le bon goût est la mort de l’art. Je crois que je suis restée amoureuse de l’esthétique de l’enfance, remplie de paillettes, de poneys et de rose bonbon, et que j’y ai ensuite ajouté l’esthétique punk de mon adolescence. »

Des solos de guitare qui tachent
La rédac-chef de La Gazette du mauvais goût ne croit pas si bien dire. Et si les réminiscences de l’enfance étaient la clef de cette émancipation culturelle ? Après tout, l’enfance est une période protégée où l’on ne sait pas encore ce qu’il est acceptable d’aimer et où le seul critère de jugement est tout simplement le plaisir immédiat que peuvent procurer une BD, un film ou une chanson. Ces dernières années, bon nombre de musiciens ont voulu revenir à leurs amours prépubères, comme ces vieux tubes indigestes écoutés en boucle à la radio, et ont réintégré ces influences considérées comme honteuses dans leur musique. En France, au milieu des années 90, avec l’arrivée de la French touch et de groupes comme Daft Punk ou Phoenix, des tas d’artistes ont commencé à assumer pleinement des choses aussi jouissives que déconseillées : du bon vieux solo de guitare électrique qui tache aux embardées de saxophone bien dégoulinant. Phoenix confiait même à l’époque vouloir faire sauter le cran du “musicalement correct” : « Tout dans notre démarche est hyper sincère, on ne connaît pas le second degré. Tout ce qui nous plaît, nous l’intégrons, sans nous demander si c’est autorisé ou pas. » Ces productions ont semblet- il décomplexé la génération d’artistes suivante qui, que ce soit dans la pop, le rock ou l’électro, revendique sans honte ses influences, comme les rappeurs de TTC qui assurent vouloir composer « des trucs qui restent dans la tête comme ceux de Desireless ou Jackie Quartz », ou du génial performer Gonzales qui composa en 2008 un album consacré au soft rock, genre banni depuis les années 70. Ainsi, ce qui devait arriver arriva : ces musiques plus que douteuses ont fini, un peu comme la figure du geek, par être acclamées par les branchés et par devenir furieusement hype. Une preuve ? Aeroplane, groupe électro-pop basé à Bruxelles qui s’apprête à conquérir les charts du monde entier, déclare se « situer délibérément à la frontière du bon et du mauvais goût ». Dora : « Les choses qu’on trouve les plus esthétiquement dérangeantes aujourd’hui, donc souvent jugées par le grand public comme moches ou de mauvais goût, deviennent toujours un jour ou l’autre les plus cool. »

Mais il n’y a pas que dans la musique que le mauvais goût a le droit de cité. Dans le monde de l’art, on ne parle pas de mauvais goût mais de kitsch. C’est plus chic. « Le kitsch ? C’est un terme bien vaste ! C’est tout ce qui dérange, qui est atypique, hors du temps, et surtout un état d’esprit » commente Nicolas Bas, créateur avec Benjamin Pillot du Blog du kitsch. Leur blog traite de ce qu’ils considèrent être un « phénomène culturel et sociologique » à travers des articles parfois sérieux, parfois amusés, qui explorent divers domaines (arts, musique, mode, cinéma, jeux vidéo, déco). Dans l’art, le kitsch qui se veut un brin subversif s’est répandu comme une traînée de poudre, si bien qu’il est devenu une facilité pour beaucoup d’artistes, paradoxalement considérés à présent comme l’élite du bon goût.

Du kitsch à Versailles
Pour les expositions de Jeff Koons ou Takashi Murakami au Château de Versailles, la presse a préféré parler d’avant-garde ou de postmodernisme, alors qu’une partie du public n’y a vu que du mauvais goût anobli. Nicolas : « Ce qui nous amuse, c’est de voir que la créativité n’a aucune limite ! C’est vrai qu’aujourd’hui, l’art ou la mode ont fait exploser pas mal de vieux principes. On est plus libre dans ses créations. A côté de ça, j’ai l’impression que ça s’essouffle un peu et qu’on tente de revenir en arrière : ce n’est pas tellement le kitsch qui est revenu à la mod,e mais plutôt un esprit vintage. » Benjamin renchérit : « Pour moi, les nouvelles générations n’acceptent pas moins ou davantage le mauvais goût que celles d’avant. » Ainsi, comme pour les influences musicales, l’apologie des goûts ambigus se confondrait-elle avec un simple revival ? Ne serait-ce pas de la nostalgie plutôt qu’un réel engouement ? Finalement, on s’enticherait avec délectation du mauvais goût passé mais on ne créerait pas celui de demain, délaissant au passage l’expérimentation et l’avant-garde. « La France a vraiment du mal avec la nouveauté et l’excentricité, conclut pour nous Dora Moutot, notre spécialiste. J’espère que dans le futur, les gens oseront être plus aventureux, sans avoir peur de se gourer, en vivant la mode avec plus d’humour et de légèreté. » Si le message est entendu, il se pourrait bien qu’un jour le sujet du bac philo ne soit plus « Qui dicte le bon goût ? » mais « Qui dicte le mauvais goût ? »

Communiqué de presse de durand |Proposé le 31 janvier 2011 |Commenter...

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