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Les dead drops, des clés USB en libre service

Avec les “dead drops”, des clés USB en libre service disséminées dans l’espace urbain, l’artiste berlinois Aram Bartholl réinvente l’échange de fichiers hors ligne et fait un pied de nez à Hadopi. Explications.

A l’origine, une “dead drop”, c’est une “boîte à lettres mortes”, un système de communication utilisé par les espions depuis les années 60. Il s’agissait d’une sorte de cache où l’on pouvait dissimuler, au choix, de l’argent, des instructions secrètes, des microfilms ou même des armes. L’idée, c’est que la “dead drop” doit se fondre dans le paysage, et donc être intégrée dans un endroit banal, que les gens ne remarqueront pas au premier regard. Seul le destinataire, prévenu à l’avance, saura la repérer. Ce peut être une brique dans un mur, un livre dans une bibliothèque, ou tout bêtement un emplacement sous un rocher. On s’en serait douté, le système est parfois utilisé par les revendeurs de drogue pour cacher leur marchandise. Il y a quelques mois, l’artiste berlinois Aram Bartholl a eu l’idée de recycler le concept de la dead drop et de l’utiliser comme vecteur pour le partage de fichiers. Il a donc installé cinq clésmémoire dans la ville de New York, avec des documents, de la musique, des vidéos.

dead drop

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Selon sa propre expression, il a « injecté » des USB dans les murs de la ville, à des endroits accessibles. Le concept : repenser la distribution de données et la liberté d’échanger des informations. Avec les dead drops, Bartholl inverse l’idée de la clé de mémoire portable. C’est la ville elle-même qui devient une clé USB géante et immobile. Sur ces clés USB disséminées dans l’espace public, on trouvait un petit fichier “read me” qui présentait le projet de Bartholl comme un “work in progress”, invitant à le développer dans le monde entier. Sur le site deaddrops.com, il a même rédigé un manifeste, encourageant tous les internautes à se lancer dans le projet. Il a aussi mis en ligne une vidéo décrivant le mode opératoire à suivre pour se lancer soi-même dans la dead drop. Il suffit d’avoir une clé USB, un peu de ciment à prise rapide ou de mastic, puis de repérer un endroit approprié. La clé doit se trouver dans un endroit accessible en permanence (et donc pas dans un immeuble à digicode par exemple) et ne pas inclure de recours à des logiciels payants. Et puis, il y a un petit côté artistique : une vraie belle dead drop ne montre que sa partie métallique, le reste est bien caché sous le ciment. Ne reste plus qu’à travailler les finitions, à photographier l’installation et à balancer l’adresse en ligne sur deaddrops.com. Pour se connecter à la clé USB, il faudra peut-être mettre un genou à terre, coller son ordinateur contre un mur et un peu salir son jean : c’est le maigre prix à payer pour échanger des fichiers à l’abri des tentacules d’Hadopi.

Et le mouvement commence à prendre, puisque la carte des dead drops se remplit de plus en plus chaque jour. Sans surprise, les clés sont majoritairement implantées en Europe et en Amérique du Nord, sur des plages, sur un banc ou dans le métro, comme à Berlin. Il n’y en a pour l’instant qu’une seule en Afrique (en Afrique du Sud), et une en Chine, de 32 gigas quand même. En France, le phénomène démarre aussi. Un activiste en a déposé une demi-douzaine à Lyon, il y en a aussi à Saint-Malo, à Limoges, à Périgueux, à Toulouse ou Albi. A Paris, on en trouve une petite dizaine, dont la première fut “injectée” dans le jardin du Carrousel du Louvre. On en repère une sur le pont des Arts, rue des Thermopyles ou rue de Picpus. Les gens mettent un peu de ce qu’ils veulent dedans, du contenu légal ou illégal, intéressant ou pas. C’est au petit bonheur la chance : certains remplissent les clés de vidéos X, comme à Toronto, alors que d’autres préfèrent déverser les câbles diplomatiques sortis par Wikileaks. Il ne s’agit pas non plus de se brancher la fleur au fusil. Aram Bartholl prévient les usagers : « On sait qu’on est en danger avec les virus, mais chez soi avec une tasse de café bien chaude, on se sent en sécurité. Déplacer le partage de fichiers dans les rues rend le danger plus évident. Pour se brancher à une dead drop, il faut protéger sa machine. » On n’est jamais trop prudent. Mais a priori, il n’y a pas vraiment de raison que de méchants hackers viennent piéger un projet qui va plutôt dans le sens de l’internet libre, une tendance qu’on retrouve dans les différents travaux d’Aram Bartholl.

Plus précisément, son projet artistique consiste à interroger les relations entre l’espace du net et l’espace public. Sous quelle forme les données en ligne se manifestent-elles dans notre vie quotidienne ? Qu’est-ce qui passe du cyber-space à l’espace physique ? Comment les innovations technologiques influent-elles sur nos vies ?

En gros, depuis quelques années, Aram Bartholl s’ingénie à mesurer l’impact de la technologie digitale sur la société par des moyens détournés, des performances publiques et des “workshops”. Avec ses oeuvres conceptuelles, il s’amuse à ramener le virtuel dans le réel, au moment où l’on parle de plus en plus du “cloud computing”, l’informatique dans “le nuage”. C’est l’une des prochaines grandes évolutions de l’informatique, qui consiste à dématérialiser les applications et les données, qui ne devraient plus encombrer bien longtemps nos ordinateurs et se retrouver stockées sur un serveur à distance, qui gère la bande passante et la puissance de calcul selon votre convenance. « Les nuages et les nouveaux centres de données vont prendre de plus en plus le contrôle de ce qu’on a sur nos disques durs. Les iPad n’ont même plus de connections USB, on va de plus en plus dans cette direction », explique Bartholl. Dans cet esprit de “dévirtualisation”, il avait notamment reproduit grandeur nature les marqueurs d’adresse de GoogleMaps, ces grandes bulles rouges avec un “A” à l’intérieur. Il avait aussi transposé dans la réalité “World of Warcraft”, ce jeu de rôle multijoueurs dans lequel votre avatar se promène avec son nom au-dessus de la tête, en accrochant dans son dos une pancarte transparente ; il donnait ainsi l’impression que son nom flottait au dessus de lui. Pour le projet “Loud Tweets”, il avait fait fabriquer des chemises spéciales, avec la poche prédécoupée en forme de bulle, pour pouvoir y glisser son téléphone portable et afficher son dernier tweet sur soi. Avec les dead drops, Bartholl joue clairement la provocation en modernisant une technique d’espionnage, alors que la transmission et la protection des données numériques sont au centre des débats après les rebondissements de l’affaire Wikileaks ou les vols d’ordinateurs de journalistes en France. Ceci dit, les espions n’ont pas attendu pour innover dans le partage de fichiers récupérés illégalement. En 2006, le FSB (ancien KGB) a ainsi accusé les services d’espionnage britanniques d’utiliser des “dead drops” wifi pour transmettre des informations.

Communiqué de presse de durand |Proposé le 31 janvier 2011 |Commenter...

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